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La Saint-Vincent en Champagne

Dans le petit monde du champagne, la fête de la saint-Vincent est une institution. Célébré le 22 janvier, saint Vincent est sans doute le principal saint protecteur de la vigne. C’est au moment de la taille et des premiers labours qu’ont lieu les festivités.

Saint Vincent n’est pas le seul protecteur des vignerons et de leur production : saint Paul, saint Urbain et saint Vernier font également partie des saints patrons de la profession. Le culte d’un saint patron est une tradition ancienne qui n’est pas l’apanage du champagne ou de la viticulture. Tous les métiers ou presque ont un saint protecteur auquel ils vouent un culte, plus ou moins vivace, sous la forme notamment de cérémonies.

La fête de la Saint-Vincent en Champagne existe depuis longtemps. Les manifestations qui ont lieu à cette occasion offrent l’opportunité de sortir les reliquaires, croix et autres objets dédiés au culte de saint Vincent. Au début des années 1980, le Parc Naturel Régional de la Montagne de Reims a entrepris une vaste opération de recensement de ces objets, dont certains datent du XVIIIème siècle. Dans le même temps, les archives des confréries ont livré des registres, des insignes, mais également des chansons, des cantiques.

Qui était saint Vincent

Il naît en Espagne, à Huesca[1], sans doute à la fin du IIIème siècle. La légende dit que son grand-père était consul et que sa mère était une sœur de saint Laurent.

Sous la direction de Valère, évêque de Saragosse, il étudie les sciences profanes et sacrées. Il l’accompagne également lors de la prédication de l’Evangile. C’est l’époque des persécutions de l’empereur Dioclétien. Emprisonné à Valence, ses bourreaux le torturent en l’allongeant sur un gril. Il serait mort sur le bûcher en 304. C’est un corbeau qui protège son corps jeté à la décharge. Après d’autres péripéties, on finit par l’enterrer.

Grégoire de Tours et le poète Fortunat, à travers leurs écrits, répandent son culte dans le pays. Le roi Childéric Ier rapporte d’Espagne un bras[2] et la tunique de saint Vincent. Pour ces reliques, il fait bâtir à Paris une église qui deviendra plus tard Saint-Germain-des-Prés. Au moment de l’invasion maure en Espagne, les moines transportent les reliques de saint Vincent dans divers monastères en France et en Europe.

En 1701, le cardinal de Carpège, récompense une habitante de Pocancy pour sa profonde dévotion son dévouement pour les pauvres. Son nom est Marie LARCHER. Le vicaire général du pape Clément IX lui offre un morceau du crâne du vénérable saint.

Le 22 janvier 1866, le curé de Vertus obtient une partie de la précieuse relique. La translation vers l’église de Vertus a lieu le 22 janvier 1867. Une châsse de cuivre verni lui sert d’écrin.

Saint-Vincent en Champagne : le reliquaire de saint Vincent à Vertus
La châsse reliquaire de saint Vincent dans l'église Saint-Martin de Vertus

Un saint protecteur des vignerons

Mais pourquoi ce saint, qui a priori n’a rien à voir avec la viticulture, est-il devenu le saint patron des vignerons ?

D’après l’abbé Boitel[3], les vignerons voulaient un saint renommé, ayant un grand crédit auprès de Dieu. Ils avaient également besoin d’un personnage empreint de courage et de patience, qui serait pour eux un exemple dans leur vie difficile. Enfin, par sa force et sa détermination, il leur montrerait le chemin pour ne pas céder au vice qui les guette le plus : l’ivrognerie.

Il existe une autre légende. De passage à Majorque, saint Vincent fut interpelé par un aubergiste. Celui-ci se plaignait de devoir vendre son vin à trop bas prix parce qu’il n’était pas apprécié par ses clients. Le bon saint lui demanda alors de verser le liquide sur son scapulaire[4]. Bien que surpris, le cabaretier s’exécuta. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit le liquide se partager en deux. Le bon vin tombait à terre tandis que l’eau mouillait l’habit du religieux. Le bon saint aurait alors eu ces mots « Tu vois bien que ton vin est encore trop cher ».[5]

La fête de la Saint-Vincent

Au début du XXème siècle, cette tradition séculaire a failli s’éteindre. Les guerres de 1870 et 1914-1918, associées à l’exode rural, ont failli avoir raison des coutumes locales. Cela est vrai dans la Champagne comme dans nombre d’autres régions françaises. Le départ des jeunes gens a sonné le déclin des célébrations de l’attachement à un village, à une contrée.

Des festivités profanes…

Ces scènes sont rapportées par Gilbert ROY dans le numéro 77 de la revue Folklore de Champagne de janvier 1982. La veille de la Saint-Vincent, des cortèges burlesques parcourent les rues. Les vignerons en tenue de travail ont le visage barbouillé de noir ou recouvert d’un masque de carnaval. Ce premier défilé, profane, voire païen, n’est pas sans rappeler les processions des fêtes en l’honneur de Dionysos (Bacchus chez les Romains), dieu grec de la vigne et du vin.

Autre tradition : le rite de la quête. Lors d’une aubade ou d’une sérénade (selon les villages), les vignerons masqués portant leur hotte et transportant un baril quémandent dans les maisons de la nourriture, de l’argent ou du vin. Cette tournée des rues du village se termine par une Grande Bouffe au cours de laquelle tout ce qui a été récolté est consommé par la communauté des villageois, même l’argent, qui est utilisé pour acheter des victuailles supplémentaires ou du vin, « des fois qu’on vienne à manquer ».

Saint-Vincent en Champagne : bâton de confrérie
Le bâton de la Confrérie Saint-Vincent de Vertus

Enfin, pour parachever ces festivités, le lendemain, après le repas de midi, les vignerons munis de leur serpette, sans doute l’instrument le plus important de leur métier, partaient dans les vignes pour tailler quelques sarments. Il ne s’agissait pas de commencer la taille de la vigne : le 22 janvier, les gelées sont encore fréquentes et le temps n’est pas encore à la préparation de la récolte. Mais on taillait quelques vieux pieds et on brûlait ensuite les sarments sur la place du village ou dans les collines avoisinantes. Souvent, le sacré y rejoignait le profane, puisque le feu était béni par le curé. Cette tradition devait conjurer la peur d’un avenir mauvais : tailler oblige la vigne à produire et allumer un feu « oblige » le soleil à briller.

Toutes ces manifestations se déroulaient dans la bonne humeur, au son de la musique et des chants traditionnels liés au travail de la vigne.

…aux cérémonies religieuses

Le jour de la Saint-Vincent est un jour de grand-messe. Y participent même ceux qui ne fréquentent pas ordinairement l’église. Dans certains villages, c’est l’occasion de nettoyer l’église de fond en comble et de cirer les bancs. La fanfare du village est souvent conviée à animer la célébration, avec la chorale paroissiale.

Pendant l’office, le prêtre bénit le gâteau de la Saint-Vincent, un assemblage de brioches fabriquées par l’artisan boulanger et arrangées sur des brancards. Ce « pain béni » était traditionnellement un cadeau du bâtonnier (celui qui porte le bâton de Saint-Vincent) aux fidèles.

Une procession conduit les participants vers la célébration religieuse. Le bâton représentant le saint patron marche en tête. Comme pour les festivités profanes, ce cortège est accompagné de nombreux cantiques. Une autre procession suit bien souvent la messe. Elle mène alors les fidèles de l’église à l’auberge, où sera partagé la brioche, accompagnée de champagne offert par les plus riches vignerons de la commune.

 

Perpétuer la tradition

Aujourd’hui, la plupart des villages du vignoble champenois ont une Confrérie de Saint-Vincent, gardienne des traditions ancestrales et animatrice des festivités locales.

Constituées depuis des temps immémoriaux puis tombées en désuétude, beaucoup ont connu une renaissance entre le milieu du XIXème siècle et les années 1920. Certaines ont disparu après la crise du phylloxéra qui détruisit une partie du vignoble. Celles qui subsistent arborent fièrement leur bannière, leur costume et leur bâton dans les festivités.

Aujourd’hui, ces confréries sont souvent les organisatrices de la fête de la Saint-Vincent, qui conserve les grandes lignes de la tradition. Le cortège suit la fanfare. Il devance le tonnelet de vin et le gâteau de Saint-Vincent, puis les jeunes gens du village en costume de vigneron des temps passés. Puis vient la Confrérie locale en grande tenue. Elle précède les vignerons de la commune et la foule des habitants venus participer à ce moment festif.

Saint-Vincent en Champagne : église des Riceys
L'église Saint-Vincent des Riceys

La procession s’en va vers l’église, où chacun prend place pour la grand messe au cours de laquelle l’assemblée chante le Te Deum. A la sortie, le « champagne d’honneur » est l’occasion occasion de discours prononcé par les personnalités présentes. Enfin, un banquet officiel qui réunit les notables et ceux qui ont reçu une récompense clôt cette journée. Dans les familles, c’est aussi l’occasion d’un banquet familial où chacun sacrifie au culte de la bonne chère et du bon vin, réminiscence là encore des pratiques dionysiaques.

Dictons de la Saint-Vincent

Le plus ancien dicton découvert le fut dans le Missel de Constance daté de 1504 :

Vincenti festo si sol radiat (si le soleil brille sur la fête de Vincent)

Memo resto tunc magnum fac va (souviens-toi, reste, alors fais de grandes choses)

Quia vitis dabit tibi uvas (car la vigne te donnera des raisins).

 

Prends garde au jour de Saint-Vincent

Car si ce jour, tu vois et sens

Que le soleil soit clair et beau

Nous aurons plus de vin que d’eau.

A la Saint Vincent

Le vin monte au sarment

Ou s’il gèle il en descend.

Sources

  • FOUREUR (P.), La Saint-Vincent, fête des vignerons à Hautvillers in Mémoires de la Société d’Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne (SACSAM) 2ème série, tome XXIII, 1928-1930, p. 109-130 (Archives départementales de la Marne – DELTA 103/115).
  • La Halette, bulletin de liaison des ragraigneux, n° 24 de juillet 1997 (Archives départementales de la Marne – DELTA 1678/1).
  • DEMOUY (Patrick), Saint Vincent, histoire et légende, Archiconfrérie Saint Vincent des Vignerons de la Champagne (Archives départementales de la Marne – Ch 2084).
  • ROY (Gilbert), La Saint-Vincent, in Folklore de Champagne, n° 77, janvier 1982 (Archives départementales de la Marne – DELTA 3053/1)

Notes

[1]     Ou peut-être à Saragosse ou à Valence.

[2]     Une partie se trouve actuellement à Vitry-le-François.

[3]     Alexandre Clément BOITEL (1799-1881) a écrit de nombreux ouvrages d’histoire locale sur le département de la Marne.

[4]     Le scapulaire est un vêtement porté par les religieux. Il se compose de deux larges bandes d’étoffe retombant des épaules sur le torse et sur le dos.

[5]     Légende rapportée dans La Halette, bulletin de liaison des ragraigneux, dans son numéro 24 de juillet 1997 (Archives départementales de la Marne, Delta 1678/1). Le ragraigneux est quelqu’un qui grapille, qui repasse après la récolte, une sorte de glaneur.

Cette publication a un commentaire

  1. Merci Charles-Emmanuel pour cet article. Je n’ai aucun doute sur le fait que mes ancêtres aient participé à ces célébrations dont j’ignorais l’origine.

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