C’était il y a deux cents ans. Une année comme les autres pour les contemporains. Une année comme les autres dans les archives judiciaires. Cet article de blog sonne comme un défi. Un défi au temps, qui inexorablement grignote les traces du passé. Un défi au généalogiste, qui ne cesse de chercher l’extraordinaire là où ne réside finalement que l’ordinaire. Un défi au lecteur, qui va se trouver aux prises avec un monde à la fois inconnu et si familier.
Bienvenue dans la chronique d’une année ordinaire, d’une vie quotidienne.
Un peu d’histoire[1]
Sous l’Ancien Régime[2], le Royaume de France n’était pas découpé de la même manière qu’il l’est aujourd’hui. On ne parlait pas de commune, mais de paroisse. On ne parlait pas de région, mais de province. La Champagne, la Bourgogne, l’Artois, le Poitou, la Bretagne sont quelques noms de ces provinces anciennes. Les nobles en étaient les maîtres.
Du point de vue administratif et judiciaire, le royaume se divisait en bailliages et sénéchaussées. Sans entrer dans les détails, il s’agissait de circonscriptions dans lesquels le pouvoir du roi revenait à un bailli ou à un sénéchal, qui avait également des pouvoirs de justice. Un lieutenant général et deux lieutenants particuliers, qui présidaient le tribunal du bailliage, le représentaient au quotidien.
Le bailliage de Reims apparaît en 1524, sous le règne de François Ier.

Près de trente ans plus tard, en 1552, son fils Henri II, crée les présidiaux, une circonscription supplémentaire dans l’organisation judiciaire, entre les bailliages et les parlements, qui jugeaient les affaires en dernier ressort.
Le tribunal du bailliage royal de Reims en 1725
Le tribunal du bailliage est compétent pour juger les affaires en premier ressort. Il intervient aussi en appel de la justice seigneuriale et pour les affaires de moindre importance (la limite est financière et a varié au cours des siècles).

En 1725, ce sont Simon Jean Baptiste LEVESQUE, seigneur de Vandières, et Jacques Marc LONGIS, seigneur de Dugny, tous deux lieutenants particuliers du bailli, qui président le tribunal du bailliage. Les audiences se tiennent généralement le mardi, mais pas forcément toutes les semaines. En effet, sous l’Ancien Régime, il faut prendre en compte le temps religieux : l’Eglise est omniprésente dans la vie quotidienne des habitants du royaume et les temps fériés sont importants. Ainsi, de février à mai, chacun vit au rythme du Carême, de Pâques et de l’Ascension, ce qui réduit d’autant le nombre de séances du tribunal pendant ces mois.
A chaque audience, le nombre d’affaires présentées semble assez impressionnant. Sur le seul registre des sentences civiles du tribunal du bailliage de Reims[3], j’ai recensé 619 jugements en 1725, pour 35 jours d’audience au total. Ce qui donne une moyenne de près de 18 affaires par jour, avec un pic le 4 septembre 1725, où 41 affaires furent présentées.
Affaires et justiciables
Les justiciables appartiennent à tous les ordres de la société : noblesse (on parle ici plutôt de petite noblesse provinciale), clergé (notamment les abbés et prieurs des abbayes locales, lorsqu’ils interviennent dans les paroisses), et tiers état (marchands, laboureurs, artisans, …).
Un fait semble constant : un défendeur régulièrement convoqué et défaillant (ni présent, ni représenté) voit la sentence prononcée contre lui.
La partie qui perd le procès est systématiquement condamnée à payer les frais de justice, lesquels ne sont pas renseignés dans la sentence.
Quelles sont les affaires qui ont occupé le tribunal du bailliage de Reims en 1725 ? On note plusieurs affaires renvoyées à plus tard faute d’informations suffisantes ou pour permettre à l’un des justiciables d’apporter la preuve de son droit.
Mais le plus souvent, les affaires sont financières. Le registre regorge de litiges liés à un héritage, au paiement d’une rente, d’une vente ou encore d’un bail. Plusieurs plaignants sont venus faire valoir leur droit de possession et de jouissance sur une terre, suite à une vente, à une cession de droit ou à la réalisation d’une hypothèque.
Le tribunal a également autorisé des femmes, séparées de biens d’avec leur époux, à ester en justice. Il faut ici se rappeler deux choses : sous l’Ancien Régime (et encore longtemps après la Révolution), les femmes n’ont aucun droit. Elles passent de l’autorité de leur père à celle de leur mari. De plus, le divorce n’existe pas. En revanche, au XVIIIème siècle, elles peuvent bénéficier d’une séparation de corps et de biens. Cela ne leur donne toutefois pas le droit d’aller en justice, et c’est cette autorisation qu’elles viennent demander au tribunal.
La sentence
Dans le registre, toutes les sentences se présentent sous la même forme. Et ce formalisme, on en retrouve encore la trace dans la manière dont on rédige les jugements aujourd’hui.
Tout d’abord, le rédacteur nomme les parties en présence : le demandeur et le défendeur. Ce qui est parfois difficile à saisir, c’est l’objet de la cause portée devant le tribunal. En effet, rappelons-nous qu’il s’agit ici du registre des sentences, et non d’un registre des procédures. De ce fait, les demandes, qui ont le plus souvent fait l’objet d’un mémoire, ne sont évoquées que par la date à laquelle ledit mémoire a été enregistré.
Ensuite, vient la décision du tribunal, avec les précisions nécessaires sur la peine infligée à celui qui perd son procès.
De même que la forme, le vocabulaire a son importance. On reconnaît généralement les parties au fait qu’elles sont introduite par les mots « entre » et « et ». De la même façon, la sentence commence très souvent par ces mots : « Parties ouyes » ou « P.O. ».
Ainsi va la vie de la justice civile au tribunal du bailliage de Reims en l’an de grâce 1725. C’était il y a deux cents ans.
Notes
[1] Source : CABOURDIN (Guy) & VIARD (Georges), Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, coll. U, 1990 et MARION (Marcel), Dictionnaire des institutions de la France, XVIIème-XVIIIème siècle, Paris, Picard, 1989.
[2] On appelle communément Ancien Régime la période de l’histoire de France qui précède la Révolution de 1789, cette période où nous étions gouvernés par des rois.
[3] Il existe également un registre des sentences du présidial pour les affaires civiles et les registres des affaires criminelles.