Tous les Oléronais et tous ceux qui ont vécu ou simplement passé des vacances sur cette île de Charente-Maritime connaissent ce bâtiment qui orne la pointe nord de l’île.
L’île d’Oléron se trouve dans l’océan Atlantique, au large de la ville de La Rochelle. Elle est longue d’environ trente kilomètres et large de huit. Parmi ses monuments, elle compte sans doute l’un des plus beaux phares français : le phare de Chassiron.
Achevé dans sa forme actuelle en 1836[1], il possède par un fût noir et blanc (depuis 1936) et une lanterne en zinc perchée à quarante-trois mètres au-dessus du sol. L’ascension de ses 224 marches est une épreuve, mais le panorama qu’offre la plateforme au sommet est à couper le souffle.
Dès l’origine, il reçoit des équipements technologiques de pointe. Et en 1891, les ingénieurs y installent la toute nouvelle lentille à échelons, dite de Fresnel. Il est l’un des premiers phares à bénéficier de cette invention. Cela augmente la portée de son signal jusqu’à vingt-huit miles nautiques, soit environ cinquante-deux kilomètres.
Classé monument historique en 2012[2], il est au centre d’un jardin en forme de rose des vents, qui abrite entre autres merveilles un parterre de graminées, un potager et de la vigne.
Un monument… dans le monument
Ce qui fait la particularité du jardin du phare de Chassiron, c’est qu’il abrite… un monument aux morts. Oh, il ne s’agit pas d’une grande stèle destinée à valoriser le sacrifice de nos vaillants soldats tombés au cours des guerres. Non. Et je pense d’ailleurs que peu de visiteurs et de badauds prennent conscience de se trouver là face à un monument aux morts. En effet, le lieu rend hommage aux morts anonymes.
De petits cailloux blancs couvrent cette petite portion du jardin. C’est là que se trouvent des silhouettes métalliques de navires portant un nom et une date. Oui, il s’agit d’un monument dédié aux marins disparus en mer, aux vaisseaux qui ont sombré au large de la pointe nord de l’île.
Ce passage, qu’on appelle le pertuis d’Antioche, est un lieu terriblement dangereux. Et les marins d’aujourd’hui le redoutent encore. Le lieu recèle de nombreux rochers et des récifs affleurants que les marins n’aperçoivent souvent qu’au dernier moment… quand il est trop tard !
Aujourd’hui, la tourelle ou balise d’Antioche balise l’endroit. Elle remplace une tour construite en 1913 pour recevoir un feu lumineux et une corne de brume. Ce nouvel aménagement sera achevé en… 1925, trop tard pour les marins du Port Caledonia.
Le Port-Caledonia
2 décembre 1924. La mer est mauvaise, très mauvaise dans le pertuis d’Antioche.
Parti le 8 août de Mejillones, au Chili, le Port-Caledonia transporte vers La Rochelle un chargement de près de six mille tonnes de nitrates. Ce fier quatre-mâts barque bat pavillon finlandais. Achevé en 1892 dans un chantier naval écossais, il compte vingt-cinq hommes d’équipage commandés par le capitaine HARESSON,… et un chien.
Arrivé dans le pertuis d’Antioche, le navire heurte les dangereux récifs. Poussé par un vent violent, il s’échoue. Le choc met à bas une grande partie de la mâture et brise le bateau en deux. A terre, ceux qui aperçoivent le navire croient d’abord qu’il s’est arrêté pour attendre un pilote. C’est en effet recommandé dans cette zone maritime. Hélas ! Il faut bien se rendre à l’évidence : le bâtiment est en fâcheuse posture et a besoin d’aide.
Aussitôt, à Saint-Denis et à Chaucre, on met le canot de sauvetage à la mer. De son côté, la Marine envoie de La Rochelle le remorqueur Toiras. Face aux éléments déchaînés, les sauveteurs ne peuvent rien faire. Même tenter de lancer un filin pour accueillir à leur bord les marins en perdition se révèle impossible. Avec la nuit, les marins oléronais doivent revenir au port sans avoir pu sauver les naufragés. Le lendemain, à l’aube, tout est terminé : le Port Caledonia a sombré corps et biens.
Dans les jours qui ont suivi, la mer rejette sur le rivage les corps de vingt-trois des vingt-cinq marins. Les habitants retrouvent également de nombreux papiers, des lettres et des photographies. Les marins ont été inhumés dans le cimetière de Saint-Denis-d’Oléron.
In memoriam
Plusieurs célébrations ont été organisées à Saint-Denis-d’Oléron en ce début décembre 2024 autour du centenaire de ce naufrage qui a marqué les mémoires des contemporains et laissé des traces dans les nôtres.
Lorsque j’ai entendu pour la première fois cette histoire, je suivais une visite conférence dans le village de Saint-Denis-d’Oléron, à un jet de pierre du phare de Chassiron. La conférencière nous a conté cette tragédie avec l’accompagnement d’un groupe d’amateurs d’histoire locale, qui ont entonné un chant en mémoire des disparus du Port Caledonia. Le souvenir de ce moment me bouleverse encore aujourd’hui.
Si vos pas vous mènent un jour à Saint-Denis-d’Oléron, faites cette visite guidée, passionnante, qui vous fera regarder autrement votre lieu de villégiature. En visitant le phare de Chassiron, prenez un temps pour vous recueillir devant cette tombe collective qui n’en est pas une, en mémoire des marins de tous pays disparus.
Et si vous voulez en savoir plus sur le drame du Port Caledonia, je vous invite à consulter notamment la presse de l’époque qui s’en est largement fait l’écho, parfois même en première page.
Notes
[1] Le phare actuel remplace une première tour bâti en 1685.
[2] Pour plus d’informations, consulter la notice PA17000091 de la base Mérimée.
Bravo Charles Emmanuel pour cet article! Ce genre d’accident traumatise la population locale pendant des années. Ils voient la mort en face, même si ce n’est pas la leur. La mort arrive au compte goutte, au rythme des vagues qui apportent aux locaux des corps, des effets personnels, des papiers…. chaque village côtier à une tragédie marine à raconter. Moi qui suis Charentais, je ne connaissais pas cette histoire, qui n’est pas si vieille finalement…. merci
Merci David. La population de Saint-Denis perpétue la mémoire des marins du Port-Caledonia. C’est d’ailleurs le seul naufrage fréquemment cité alors que plusieurs dizaines de navires se sont perdus dans le pertuis d’Antioche. C’est dire si, comme tu l’as dit, ce naufrage fut traumatisant.
Merci Charles Emmanuel pour ce bel article. Je ne manquerai pas de faire cette visite si d’aventure, je franchis le bras de mer qui nous sépare des Oléronais. Les conditions de traversée sont quand même plus sures aujourd’hui… Bonnes fêtes !