La question de la violence, des violences à l’école, si présente dans l’actualité de notre pays ces derniers mois, voire ces dernières années, n’est pourtant pas une réalité nouvelle. Aujourd’hui, certains enseignants constatent, à tort ou à raison, que montrer de l’autorité est de plus en plus difficile. Il n’en a pas toujours été ainsi, et cette autorité dont faisaient preuve les instituteurs autrefois fut également source de conflits.
La cohabitation entre enseignants, élèves et parents n’est pas chose aisée. Il suffit parfois d’un comportement regrettable pour que la rupture soit consommée.
Jules GUENARD, instituteur primaire
Notre histoire se déroule autour de la ville de Reims, dans le département de la Marne.
En 1889, Jules GUÉNARD, instituteur primaire en congé pour raison de santé, demande à sa hiérarchie un poste. Agé de quarante-et-un ans, il voit avec inquiétude se rapprocher le temps de partir en retraite et n’a pas encore cumulé le nombre d’années de service qui lui permettront d’obtenir une pension.
La loi du 9 juin 1853 instaure en effet une pension de retraite civile pour les fonctionnaires nommés à partir du 1er janvier 1854. Moyennant une retenue mensuelle sur leur traitement, ceux-ci ont désormais droit à une pension de retraite dès lors qu’ils atteignent l’âge de soixante ans et peuvent justifier de trente années de service au moins (article 5 de la loi)[1].
Ainsi, pour pouvoir bénéficier de cette retraite, Jules doit travailler encore une vingtaine d’années au service de l’Etat. Il sollicite donc une nouvelle affectation aussitôt que possible.
Un instituteur zélé
Jules GUÉNARD est un enseignant d’une grande valeur professionnelle. Aux dires de sa hiérarchie et notamment de l’Inspecteur de la 1ère circonscription de Reims qui l’a côtoyé, c’est un homme aux aptitudes et aux résultats exceptionnels dans le domaine de l’instruction. Il ne devrait donc pas être difficile de lui trouver un poste.
Oui, mais toute médaille a un revers. Et le personnage n’échappe pas à la règle. Si Jules GUÉNARD obtient de si bons résultats auprès de ses élèves, c’est qu’il est exigeant. Oui, terriblement exigeant, au point de se montrer parfois brutal et violent.
Cet aspect de son caractère n’a pas échappé au maire de Cernay-lès-Reims. L’enseignant était pressenti pour un poste dans cette commune de l’est de Reims. Il en était plutôt fier et n’hésitait pas, semble-t-il, à le faire savoir. Au point d’inquiéter le maire et une partie de son conseil, qui voyaient en lui un agitateur plus proche des idées de l’opposition municipale que de leurs convictions.
Afin d’apaiser les tensions naissantes, sur les recommandations de l’Inspecteur d’académie, le Préfet de la Marne, Ambroise GILBERT, choisit de nommer ce remuant enseignant à Bétheny. Ce qui fut fait le 1er avril 1899.
Chassez le naturel…
Les premières années se déroulent, semble-t-il, dans une ambiance plutôt bonne. La hiérarchie de l’Instruction publique n’a pas de reproches à faire à son instituteur. Quant à la Préfecture, elle estime sa conduite et sa moralité excellentes. Il a des sentiments franchement républicains. En résumé, c’est un homme « sur lequel on peut compter et méritant une confiance illimitée »[2].
Rien dans son dossier, par ailleurs, ne vient troubler le tableau d’un enseignant zélé et efficace dans son travail.
La situation se complique à la fin de l’année 1902. Au mois de novembre, plusieurs habitants de Bétheny adressent à l’Inspection académique un courrier dans lequel ils dénoncent le comportement dur et violent de l’instituteur de la commune. À la suite de cette plainte, Jules GUÉNARD fait l’objet d’un « ferme avertissement » de la part de sa hiérarchie, avertissement renouvelé lors d’une inspection effectuée en novembre 1903.
Le 9 décembre de la même année, l’instituteur renvoie à sa place un de ses élèves avec « une vivacité excessive », selon ses propres termes. L’enfant tombe et se blesse légèrement à la tête.
Les fêtes de fin d’année s’achèvent et le jeune garçon reprend le 4 janvier 1904 le chemin de l’école, comme tous ses camarades, sans doute légèrement angoissé de devoir se retrouver face à cet enseignant par trop exigeant et emporté.
Le 12 janvier, il se plaint de douleurs à la tête et aux jambes. Cinq jours plus tard, il décède sans que les causes de ses maux aient pu être découvertes. Sa mort suscite une grande émotion dans la commune.
C’est la faute de l’instit
« A ces mots, on cria haro sur le baudet » (Jean de LA FONTAINE). Chacun dans la commune se rappelle alors que le petit avait été frappé par son instituteur quelques semaines auparavant. Dans l’esprit des habitants de Bétheny, pas de doute : ce sont les coups qu’il a reçus qui sont à l’origine de sa mort. D’autant que le médecin appelé à constater le décès, le docteur MATHIS, alerté par les accusations, a refusé de délivrer le permis d’inhumer.
Il n’en faut pas plus pour que les parents décrètent une grève de la fréquentation scolaire. L’information n’est pas dans le dossier de l’intéressé, mais est parue dans L’Observateur de l’Est, La Dépêche de l’Est et La Croix de Reims et l’avenir, trois périodiques locaux, entre le 19 et le 21 janvier.
Mais que s’est-il passé ?
Averti par le maire, le Procureur de la République ouvre une enquête et mandate le docteur CHEVY pour effectuer une autopsie.
Le médecin s’exécute et rend quelques jours plus tard ses conclusions, qui sont sans appel. Après avoir longuement détaillé les observations réalisées sur le corps, les organes et les articulations du jeune défunt, il n’a plus aucun doute. Léon LECOQ, le jeune garçon, est décédé « des suites d’une péricardite avec épanchement survenue au cours d’un rhumatisme aigu ».
Aucun lien donc avec des coups qu’il aurait pu recevoir, le légiste est formel. Jules GUÉNARD n’est pas responsable du décès de son élève.
Sur le plan judiciaire, l’affaire s’arrête là. La mort de Léon est naturelle, l’enquête n’ira pas plus loin.
Une affaire embarrassante
Et pourtant, tout n’est pas terminé. Des questions restent en suspens. Et la presse s’en fait l’écho. L’affaire est surtout suivie par les journaux républicains. On demande une enquête sur les accusations portées à l’encontre de l’enseignant. Dès le 21 janvier, puis par deux fois dans les semaines qui suivent, La Dépêche de l’Est en appelle aux services du parquet. Car justice doit être rendue aussi bien pour l’instituteur incriminé, s’il est innocent, que pour les familles, s’il est coupable. D’autant que l’Inspecteur primaire a jugé préférable de suspendre Jules GUÉNARD.
Si une enquête a été menée par la justice, il n’en reste pas de trace dans les Archives départementales de la Marne : l’incendie du tribunal de Reims en 1914-1918 a détruit tous les documents qui y étaient archivés depuis 1825. Le dossier personnel de Jules GUÉNARD n’en fait pas état, pas plus que d’une éventuelle condamnation.
Entre les habitants de Bétheny et leur instituteur, en revanche, rien ne va plus. Même innocenté de la mort de Léon LECOQ, Jules GUENARD ne peut rester à son poste. Les passions exacerbées par son comportement passé et le décès du jeune garçon rendent désormais toute relation impossible. De fait, pour calmer les esprits, l’Inspecteur n’a d’autre solution que de promettre le déplacement de l’instituteur.
Le 16 février 1904, Jules GUÉNARD est muté à Pocancy, non loin de Châlons-sur-Marne, et remplacé à Bétheny par l’instituteur titulaire de ce village. Il y finit sa carrière sans autre incident, du moins si l’on se réfère à son dossier personnel.
En guise de conclusion
Cette affaire n’est pas sans nous en rappeler une autre, beaucoup plus récente et au dénouement ô combien plus tragique.
Ici, le comportement de l’enseignant est condamnable (il l’était déjà en 1904), et il fut sanctionné par sa hiérarchie (l’avertissement fait partie de l’éventail des sanctions possibles dans la fonction publique). Mais l’attitude de la population doit également nous interroger.
En toutes choses, évitons les excès et sachons faire preuve de mesure.
Merci Charles-Emmanuel pour cet article à propos de la violence à l’école.
J’ai le souvenir de mon père me racontant les corrections de ses maîtres d’école, dans les années 70. Des souvenirs comparables mais moins violents, de ceux de mes grand-parents.
Aujourd’hui, le comportement des enseignants a évolué mais la violence est toujours présente dans des écoles, différemment…
Ce Monsieur GUENARD aura été jugé à tord par les villageois.
La peine imposée par sa hiérarchie est cependant une sanction trop permissive, personnellement.
Ta conclusion est très juste, il faut savoir doser.
Merci Alexandra pour tes remarques.
Autre temps, autres mœurs. Je ne me hasarderai pas à dire ce qui est le mieux, d’hier ou d’aujourd’hui, mais il n’en reste pas moins vrai que l’institution continue à faire face à ces comportements regrettables.
Bonjour Charles-Emmanuel,
Très bel article et passionnant.
Bravo
Merci beaucoup Nathalie.
Bravo pour ce premier article! C’est très réussi, belle synthèse des documents que tu as pu trouver aux AD51! 👏👏
Pauvre petit Léon, parti bien trop tôt… De la peine pour les parents, peu importe la cause du décès d’ailleurs. 😢
Merci David pour tes encouragements.